Mesdames, Messieurs, bon après-midi,
Je voudrais tout d’abord remercier l’Institut Kurde de Paris de m’avoir donné la parole dans ce colloque pour rendre hommage à Dr Ghassemlou. Je suis parmi vous parce que j’étais le conseiller de Cheikh Ezzedine Husseini, le chef spirituel du peuple kurde. En tant que conseiller, j’ai souvent rencontré le Dr Ghassemlou au fil des années et pendant la résistance kurde contre le regime iranien.
Cheikh Ezzedine était membre de Komeley Jeykaf (Société pour la Renaissance des Kurdes) dans sa jeunesse, et il avait participé à la cérémonie du drapeau de la République Kurde de 1946. Il était un ami proche des membres du PDKI au cours des années et jusqu’à la revolution en Iran. Cheikh Ezzedine avait un grand respect envers le Dr Ghassemlou, en tant que Secrétaire général du PDKI, l’intellectuel formé en Europe, devenu expert en politique internationale.
Les deux hommes entretenaient une relation cordiale, voire amicale. Selon Cheikh Ezzedine, tous les régimes idéologiques, religieux ou non, conduisent à la dictature. Par conséquent, en tant qu’homme religieux, il n’avait aucune ambition de prendre la tête d’une structure politique. Pour lui, avoir des relations personnelles avec les dirigeants politiques au sein du mouvement democratique du peuple kurde jouaient un rôle majeur. Il n’avait jamais considéré le Dr Ghassemlou comme son rival et il avait une bonne relation avec le PDKI.
Tout en respectant le Dr Ghassemlou, Cheikh Ezzedine gardait ses propres préférences politiques et ses propres points de vues concernant le Kurdistan et l’avenir de son mouvement. Il était partisan de la justice sociale et économique, les droits de la femme et un ardent militant de la non-ingérence de la religion dans les affaires politiques.
Le point de départ de l’insurrection au Kurdistan contre le regime du Chah d’Iran se situe à Mahabad, en juin 1978, lors de l’enterrement d’Aziz Yousefi, prisonnier politique et dirigeant respecté du PDKI, qui venait d’être libéré après 25 ans de prison.
Cheikh Ezzedine a rendu hommage au Aziz Yousefi et il a prononcé un discours très émouvant. La foule présente à la cérémonie a commencé une démonstration et a chanté des chants révolutionnaires kurdes. Le Dr Ghassemlou n’était pas encore revenu de son exil, Cheikh Ezzedine a pris la tête des actions de protestation à travers le Kurdistan iranien.
Environ 8 jours après la chute du regime du Chah, une délégation du gouvernement provisoire de Téhéran est venue à Mahabad pour une reunion sur la question kurde en Iran avec les représentants des différentes villes du Kurdistan. La delegation s’est rendue directement au domicile du Cheikh Ezzedine.
Cheikh Ezzedine, le chef du delegation kurde, a insisté sur la présence du Dr Ghassemlou parmi les représentants du Kurdistan. Celui-ci a remis à la délégation gouvernementale une déclaration en huit points contenant les principales revendications du peuple kurde. La declaration dite “du 8 points de Mahabad”, était écrite par le Dr Ghassemlou.
Le Dr Ghassemlou et Cheikh Ezzedine, se sont rendus séparement à Qum pour rencontrer Khomeiny. Ils ont présenté et défendu les demandes des Kurdes en Iran. Le Dr Ghassemlou était accompagné d’une délégation de son parti, le PDKI et Cheikh Ezzedine d’un groupe de personnalités religieuses de différentes villes du Kurdistan.
La réponse de Khomeiny aux deux personnalités kurdes était la même : dans une République Islamique, tous et toutes seront égaux en Iran.
Les efforts pacifiques des représentants politiques et spirituals des Kurdes n’ont pas empêché Khomeiny de lancer une offensive générale au Kurdistan. La question des Kurdes et les événements du Kurdsitan ont été délibérément déformés par les dirigeants radicaux de Téhéran dans leur lutte de pouvoir.
Khomeiny traitait Cheikh Ezzedine et le Dr Ghasemlou de la même manière : tantôt par des attaques, tantôt par des insultes.
Tandis qu’auparavant il les avait qualifié de dirigeants politiques et religieux respectés du Kurdistan, le 18 août 1979, s’adressant à l’Assemblée des experts, il déclarait :
“… le corrompu Ezzedine Husseini et le corrompu Ghassemlou, qui, n’est pas present ici; [Dr Ghasemlou était le seul représentant laïque élu à l’assemblée des experts], ont coupé les têtes des gens… ”. Il ajouta que les deux personnalités kurdes étaient irréconciliables et devaient être traités vigoureusement et de conclure “… nous allons les traiter vigoureusement.”
Le lendemain, c’est-à-dire le 19 août, Khomeiny a lancé la Jihad ou la guerre sainte contre les Kurdes sur la base de fausses informations. Cela a été confirmé par certains responsables gouvernementaux quelques années plus tard lors des entretiens avec les médias iraniens.
La population kurde et ses Peshmargas ont résisté héroïquement et Téhéran a été contraint de s’asseoir à la table des négociations.
Après de nombreuses discussions et beaucoup des d’efforts conssentis de part et d’autres, un accord a été conclu par les différents partis politiques du Kurdistan. La Délégation des Représentants du Peuple Kurde s’est constituée en novembre 1980, avec Cheikh Ezzedine en tant que Président, le Dr Ghassemlou comme porte-parole. Les organisations de Komala et Fedaiyin étaient membres de la Délégation.
Cette fois-ci, Khomeiny a envoyé un message de paix aux “frères et sœurs kurdes et leurs dirigeants politiques et religieux”!
Cependant, tous les efforts déployés par la Délégation kurde et tous les efforts pacifiques du Dr Ghassemlou et du PDKI pour éviter la guerre ont échoué. A l’instar des dirigeants iraniens qui citent le Coran fréquemment, Cheikh Azzedine a essayé de faire référence aux versets coraniques pour mettre en évidence la fraternité entre les peuples et promouvoir la paix et la prospérité. Le Dr Ghassemlou, lui, en répondant au soi-disant message de paix de Khomeiny, a utilisé le mot arabe Labbaik, ce qui signifie que nous acceptons positivement votre invitation. En vain.
Huit mois après, au cours du discours du 20 Juillet 1980, Khomeiny déclarait :
«… Notre nation a fait une révolution, (Mais) nous n’avons pas agi comme révolutionnaires…. Nous sommes coupables… Je les avais prévenus que s’ils allaient au Kurdistan pour négocier, ils devaient y aller en position de force. L’armée et les gardes devaient les encercler avant d’aller négocier. Cela a été négligé.”
Pourtant certains considèrent que les Kurdes sont bellicistes.
Deux secrétaires généraux du PDKI, le Dr Ghasemlou et le Dr Charafkandi ont été assassinés sur le sol européen. Des nombreux autres membres éminents d’organisations kurdes ont été assassinés au Kurdistan iranien et irakien sans oublier de nombreux crimes de guerre et exécutions sommaires. Les Peshmergas kurdes n’ont jamais attaqué en dehors du Kurdistan. Ils ont toujours défendu le peuple kurde au Kurdistan.
Presque 23 ans plus tard, les mêmes soi-disant négociateurs de paix qui s’étaient rendus au Kurdistan et qui avaient eu des entretiens avec Cheikh Ezzedine et le Dr Ghasemlou, ont révélé à des journalistes de la presse iranienne qu’ils avaient pour mission de gagner du temps pour ne pas céder aux revendications des Kurdes.
L’un des négociateurs, le célèbre Monsieur Sahabi, a déclaré qu’il préférait voir ses mains amputées plutôt que de signer l’autonomie des Kurdes. Après la publication de ces propos, j’ai développé en detail ce sujet dans un long article en kurde et en persan.
Les soi-disants colombes de la paix qui ont assassiné le Dr Ghasemlou à Vienne en 1989, avaient déjà tenté en 1980 de retenir Cheikh Ezzedine à Qum en résidence surveillée, prétendant qu’il était invité par Khomeiny pour une réunion amicale.
Se souvenir de la vie et de la lutte du Dr Ghassemlou et de ses efforts pacifiques pour les droits du peuple kurde, la paix et la stabilité de la région force le respect à son égard et envers l’ensemble du mouvement démocratique du Kurdistan. Néanmoins, il est regrettable de constater que de nombreuses organisations et personnalités de l’opposition iranienne parlent de danger envers l’intégrité territoriale et l’unité de l’Iran dès que l’on parle des droits légitimes du peuple kurde. Ils préfèrent invoquer ces soi-disant menaces, plutôt que de respecter les droits de l’homme et les droits nationaux du peuple kurde et ceux des autres nationalités à l’intérieur des frontières iraniennes.
30 ans après l’assassinat du Dr Ghassemlou et 9 ans après la mort de Cheikh Ezzedine Husseini, le sort du régime iranien et la juste cause du peuple kurde sont plus que jamais à l’ordre du jour. Sur la scène internationale, les Kurdes ne sont plus une partie du problème, mais une des solutions pour la paix et la démocratie au Moyen-Orient.
Malheureusement, le Dr Ghasemlou n’est plus en vie pour pouvoir jouer le rôle important qui aurait pu être le sien dans des événements complexes et importants au Kurdsitan et au Moyen-Orient. Il aurait pu continuer à mettre ses expériences et ses compétences au service de la vie politique de son peuple.
Ahmad Eskandari
Le 17 février 2020